Les produits libres, au-delà même de leur innovation marketing pour le secteur du commerce, sont une réinterprétation particulièrement moderne de la notion de marque de distributeur (MDD). C’est encore vrai à l’heure où nous parlons. De nombreuses enseignes étrangères en copient d’ailleurs régulièrement le concept !
Il faut aussi se rappeler qu’il s’agissait de la plus grande opération marketing – jamais refaite depuis – qui a particulièrement marqué toute une génération.
Comment peut-on encore trouver matière à compléter ce que l’on en savait déjà ?
Evidemment, de nombreux commentateurs avaient disserté sur ce que certains appelaient alors les produits blancs. En revanche, en dehors de la direction générale, personne ne savait véritablement les raisons internes et stratégiques qui avaient poussé Carrefour à faire un tel lancement.
Par exemple, ceux qui proclament que l’enseigne voulaient augmenter son pouvoir de négociation face aux producteurs se trompent.
La source la plus importante, la mieux conservée sur cette question, était entre les mains du directeur marketing de l’époque : Etienne Thil. C’est lui qui avait coordonné l’ensemble de l’opération, avant de lancer les magasins Ed plus tard en 1980.
Avez-vous pu rencontrer Etienne Thil à propos des produits libres ?
Pas directement, et pourtant… Il faut savoir que les cadres dirigeants n’acceptent pas toujours de dévoiler leurs secrets. Aussi, lorsqu’ils quittent les sociétés, pour lesquelles ils ont travaillé, emmènent parfois avec eux leurs documents de travail. C’était le cas ici.
Evidemment, cela représente un risque de dispersion pour comprendre l’évolution de la stratégie des entreprises mais également une opportunité lorsque l’on s’intéresse au sujet. Dans le cas présent, ses propres documents ont été sauvés par une association qui s’est constituée spécialement suite à son décès en 1996 : l’Association Etienne Thil.
Elle rassemble des passionnés du commerce, qu’ils soient chercheurs ou professionnels, et se retrouve notamment à l’occasion d’un colloque annuel sur La Rochelle.
Comment qualifiez-vous l’importance de ces archives ?
Il y a quelques années maintenant, avant de devenir membre de cette association, j’ai demandé à consulter ces documents qui attendaient dans un fonds bibliothécaire que l’on vienne les réinventer. Ce fut un grand étonnement pour moi lorsque j’ai su que personne n’avait entrepris d’en faire l’inventaire. Imaginez : 50 mètres linéaires de papiers, documents, rapports qui remontent au début de Carrefour… Il a fallu tout trier…
A présent, je peux dire que les découvertes que l’on peut y faire sont inimaginables. On y retrouve même des documents antérieurs à de la fondation des centres distributeurs Leclerc… mais là, c’est une autre histoire…
Pourquoi alors vous concentrer sur les produits libres ?
Grâce à ces documents, j’ai pu décomposer toute l’approche marketing depuis la vision stratégique générale, les critères de négociation avec les fournisseurs, le montage de la médiatisation et les réunions d’agence, jusqu’aux performances commerciales en magasin. On y retrouve même du contre-espionnage !
C’est une source inépuisable d’inspiration marketing, qui remet en cause de nombreux concepts que l’on pensait établis.
L’enseigne a lancé les produits Carrefour Discount ou PromoLibre dernièrement. Est-ce une suite logique ?
Pas du tout selon moi. Bien que l’on y retrouve une partie de la rhétorique, l’état d’esprit y est totalement différent.
L’intérêt du livre « Carrefour Un combat pour la liberté » justement, en plus de dévoiler les concepts stratégiques, met en perspective ce que l’on appelle les fondamentaux du commerce et particulièrement la vision humaniste qu’avaient les fondateurs. Pour en compléter la lecture et actualiser la réflexion, j’ai également entrepris de réaliser ce site internet. Cela permet de mettre en perspective l’actualité de l’enseigne avec ce que certains appellent « les belles années ».
En quoi les produits libres Carrefour, lancés en 1976, ont été si importants ?
Là, il faut lire le livre pour comprendre toute leur subtilité…
Entretien avec Yves Soulabail