Voici reproduit un entretien de Denis Defforey, cofondateur de Carrefour, publié dans la revue Points de Vente du 14 février 2005. Il s’agit évidemment d’une résonance particulière dans le contexte actuel de Carrefour où le démantèlement est régulièrement évoqué.
Avez-vous été informé du départ de Daniel Bernard ?
Absolument pas. La décision a été prise par la famille Hallezy Seule. Mais je me félicite de cette décision, même si je pense qu’un échec n’est jamais le fait d’une seule personne.
Ne trouvez-vous pas quelques points positifs à mettre au bilan de Daniel Bernard ?
Daniel Bernard n’a eu de cesse de faire grossir le groupe. C’est la stratégie de managers type Messier : ils gonflent jusqu’à l’éclatement ! Par ailleurs, il annonçait il y a 6 mois que tout allait bien pour expliquer trois semaines plus tard que les résultats n’étaient pas conforment aux prévisions. Je ne vois que deux explications possibles à ce revirement : soit il est mythomane, soit il n’est pas au courant de ce qui se passe dans son groupe. Dans les deux cas, c’est très inquiétant…
Pensez-vous que Luc Vandevelde soit en mesure d’inverser la tendance ?
Les financiers disent aujourd’hui qu’il faut redresser les comptes de Carrefour. Pour cela, il faut une équipe qui se consacre à cette tâche à plein temps. Or Luc Vandevelde va présider le conseil de surveillance. Il ne devrait même pas habiter en France ! Surveiller pour moi, ce n’est pas agir. Vient-il pour redonner à Carrefour une rentabilité espérée ou pour jouer les équarrisseurs ? J’ai bien peur que ces financiers soient tentés de découper le groupe en rondelles pour le céder. D’ailleurs, ils ont déjà commencé ce démantèlement en vendant de véritables bijoux de famille, comme Picard Surgelés ou encore de l’immobilier.
Pensez-vous que le modèle de l’hyper à la française soit dépassé ?
Un modèle n’est jamais perdu s’il est dynamique et bien géré… Je connais Bernard Duran et Guy Yraéta. Tous deux sont de très bons cadres d’hypermarchés ayant une culture de ce format, connaissance devenue rare aujourd’hui. Dunan n’est resté en place que 6 mois. Combien de temps tiendra Yraéta ? Tout dépend de qui va diriger Carrefour, des commerçants ou des financiers…
Propos recueillis par E.E.
C’est un non sens. Plus l’entreprise devient mondialisée, plus l’éloignement entre la direction générale et le terrain s’accroit. Lorsque l’entreprise était de taille humaine, c’était une volonté de faire confiance au terrain. Certains disent qu’ils ne pouvaient faire autrement… peut-être, mais c’était tellement intelligent.
Ils ont voulu garder cet esprit en grandissant.
Pourquoi avoir oublié cela ?
Aujourd’hui, c’est un défi intellectuel de comprendre le fonctionnement d’une entreprise de cette taille, qui fonctionne 24h/24.
La confiance, le commerçant la doit à ses clients mais immanquablement, d’abord, à ses salariés… Aristide Boucicaut faisait de même…