Eric Plat, président de la Fédération du Commerce Coopératif et Associé , a écrit le 19 mai dernier une lettre ouverte à destination du Ministre de l’Économie et des Finances, Emmanuel Macron. Un courrier diffusé via huffingtonpost.fr dont nous reprenons ici l’intégralité du texte.
Monsieur le Ministre de l’Economie,
Ne cassez pas la dynamique du Commerce Coopératif et Associé !
Laissez les entrepreneurs français gérer leurs groupements, dans le respect des valeurs de l’économie coopérative
Les coopératives de commerçants existent depuis 125 ans et ne se sont jamais aussi bien portées, gage de la pérennité et de la pertinence de notre modèle. A l’heure où nous communiquons nos résultats, le Commerce Coopératif et Associé est en croissance de +1% soit deux fois plus que la moyenne du secteur, créant encore 18 000 emplois nets en 2014. Au prétexte de vouloir favoriser la concurrence entre enseignes, vous projetez de limiter la liberté de contracter entre commerçants. C’est oublier la spécificité de notre modèle, et les principes fondamentaux qui président à nos destinées depuis plus d’un siècle. Les entrepreneurs indépendants choisissent la voix du Commerce Coopératif et Associé car il représente un des derniers territoires de liberté et d’aventure que notre société hyper sécurisée a bien souvent réduit comme une peau de chagrin.
Une limitation de la liberté d’entreprendre en réseau
Les entrepreneurs indépendants de nos organisations sont propriétaires à la fois de leur point de vente et de leur réseau – sous forme de parts sociales. Quand une personne achète un appartement en copropriété, rien ne l’oblige à le revendre au bout d’une période déterminée. Pourquoi cela devrait-il être le cas pour les coopératives de commerçants ? Rejoindre un groupement est un engagement fort, une alliance durable, non un contrat à durée déterminée. C’est limiter la liberté de nos associés et de nos organisations. C’est augmenter la charge administrative pour tous. C’est alourdir le risque financier et contentieux pour nos groupements.
Votre texte, que vous avez voulu et intitulé à juste titre : « Loi pour la croissance et l’activité », a l’ambitieux et courageux projet de prendre des mesures dont l’objectif commun est de créer de l’emploi, mettre de la fluidité dans les mécanismes économiques et relancer l’activité de notre économie. A ce titre, la Fédération du Commerce Coopératif et Associé soutient cette loi.
Néanmoins, la disposition visant à restreindre le droit des commerçants indépendants à s’associer durablement selon les modalités de leur choix, vient en dénaturer totalement l’esprit et l’efficacité. Cette mesure ne répond absolument pas à l’objectif qu’elle souhaite atteindre, à savoir favoriser la concurrence inter-enseignes. En ciblant spécifiquement les groupements de commerçants, vous épargnez les structures capitalistiques intégrées, et leur offrez de fait un avantage comparatif déloyal au détriment du système coopératif et associé. D’ailleurs les organisations intégrées soutiennent votre texte sur ce point. Cela en constitue la meilleure preuve.
Avec la loi Hamon sur l’Economie Sociale et Solidaire, le gouvernement avait exprimé le souhait de voir prospérer et se développer les coopératives ; avec cet article, vous en amenuisez la portée.
Un préjudice pour les 30 000 entrepreneurs indépendants représentant le Commerce Coopératif et Associé
A la différence d’autres organisations en réseau, chez nous ce sont les entrepreneurs eux-mêmes qui décident des règles internes au fonctionnement de leur groupement, et de la durée de leur engagement en assemblée générale, par un vote démocratique. Je vous rappelle que pour modifier des statuts il faut une majorité qualifiée des deux tiers des votants, ce qui est énorme. Et pour avoir moi-même fait modifier à plusieurs reprises les statuts de ma coopérative, il a fallu bien entendu créer les conditions d’une adhésion totale à ces modifications, reposant sur l’échange et la participation de tous à l’élaboration de ces textes. Les associés décident en commun de la part que chacun devra apporter pour aider à la construction d’un ensemble homogène et performant. Vouloir réguler et limiter dans le temps, de façon uniforme et unilatérale, les relations entre membres d’un même réseau, fragilise considérablement ces indépendants. Nos PME sont pourtant aux fondements de l’économie de proximité, défendent un modèle dans lequel les bénéfices sont réinvestis dans l’économie française locale – plutôt que dans une économie lointaine low cost.
Dans toutes nos filières, nos entrepreneurs doivent développer des outils et des moyens logistiques impliquant des investissements colossaux, nécessitant une visibilité à long terme. L’amortissement des machines, des locaux, de la R&D, ne se font pas que sur la période imposée par le plan comptable français, (une machine-outil s’amortit sur 7 ans, mais les locaux qui l’accueillent sur 15 ans et la R&D pour leur mise en œuvre sur 10 ans). L’utilisation qu’en feront nos associés rallonge aussi cette période. Cette visibilité est également exigée par nos partenaires financiers, de plus en plus sourcilleux en matière d’engagement et de caution. Que dirons-nous demain à nos banquiers, lorsque nous voudrons investir ? « Bonjour, j’ai besoin d’emprunter, mais une partie de nos contrats d’affiliation actuels se terminent dans 3 ans » !?
Dans tous les groupements, des aides sont apportées à certains de nos associés. La loi de septembre 1947 prévoit l’égalité entre associés. Si bien qu’une aide en trésorerie ou constituée d’une exonération de cotisation, par exemple, nécessite une contrepartie de la part de l’associé qui en bénéficie. Les plus couramment utilisées sont celles qui consistent soit à demander une caution personnelle, soit un engagement de fidélité à l’enseigne. La caution est bien souvent rejetée, car elle constitue la bête noire des entrepreneurs. La fidélité à l’enseigne constitue la meilleure solution pour eux. Avec votre mesure, cette possibilité disparaîtra et la seule solution résidera dans la caution ou l’hypothèque…
En conclusion, les dommages engendrés par ce texte seront plus grands que les avantages qu’ils pourraient apporter à l’économie française. Aucune étude d’impact n’a été faite à ce sujet, ce qui est regrettable. Il serait dommage que cette mesure de limitation de la durée des contrats d’affiliation soit prise uniquement en vue « d’affaiblir » quelques acteurs ciblés, alors que tous seront impactés par ce texte, petits et grands, ce qui risque de déclencher des dommages insoupçonnés à l’heure actuelle, pour nous et plus largement pour l’économie française.
C’est pourquoi nous vous demandons Monsieur le ministre de garantir cette liberté de contracter librement sans limitation de liberté et de durée pour les coopératives et les groupements associés.
Parce qu’il est porté par 30 000 entrepreneurs, le Commerce Coopératif et Associé enregistre chaque année des performances supérieures à celles du commerce de détail, représente plus de 30% du marché et emploie plus de 500 000 salariés. Il a en 2014, continué à créer des milliers d’emplois alors que le commerce de détail montrait des signes d’essoufflement. Sans mentionner les investissements réalisés dans les filières amont, qui permettent de maintenir en cascade des emplois en France, et de développer le tissu de PME locales cher à votre ministère.
Nous, dirigeants du Commerce Coopératif et Associé, vous demandons de ne pas nous priver de notre liberté d’entreprendre, et de tenir compte de la spécificité de notre modèle.
Eric Plat
Président de la Fédération du Commerce Coopératif et Associé (FCA)