Deminor, une société à l’origine spécialisée dans le conseil aux actionnaires minoritaires de sociétés cotées, vient d’interpeller Monsieur Lars Olofsson, Président Directeur Général de la société Carrefour, par un courrier en date du 4 juillet pour lui demander des explications concernant la situation au Brésil, situation qui inquiète particulièrement les actionnaires individuels.
Deminor reproche notamment à la société Carrefour de ne pas avoir informé le marché de l’existence de discussions avancées avec le groupe Diniz, ce qui pourrait être de nature à engager la responsabilité de la société et de ses administrateurs.
Deminor soulève également qu’un certain nombre d’entre eux sont d’ailleurs en plein conflit d’intérêt sur cette opération et notamment ceux représentant les actionnaires de référence à savoir Blue Capital SARL, Colony Blue Investor SARL et Groupe Arnault SAS. Deminor demande en conséquence aux administrateurs indépendants de prendre leur responsabilité afin de préserver les intérêts des actionnaires individuels.
Sans doute le plus important, la société considère que l’opération projetée va entraîner, pour Carrefour, un transfert de son contrôle de Blue Capital SARL à un groupe brésilien, sans que celui-ci en ait pour autant à payer le prix…
Exclusivité : le courrier en intégralité
Monsieur Lars Olofsson
Président Directeur Général
Carrefour
33 avenue Emile Zola
92100 Boulogne Billancourt
Paris, le 4 juillet 2011
Lettre ouverte
Monsieur le Président Directeur Général,
Deminor, en tant qu’actionnaire de Carrefour, a participé à l’assemblée générale qui s’est tenue le 21 juin 2011. A cette occasion, Deminor vous a interrogé sur l’existence de conversations avec Monsieur Diniz. Vous avez répondu que Carrefour s’intéressait aux pays ayant du potentiel et que le Brésil était un de ceux là. Vous avez ajouté que vous ne commentiez pas les rumeurs, tout en déclarant pourtant que vous n’aviez pas l’intention de perdre le contrôle de vos actifs brésiliens.
Hors, le 28 juin par voie de communiqué, vous avez indiqué avoir reçu le 27 juin (comme si vous découvriez le projet !) une proposition de partenariat au Brésil, faite par une société agissant d’ailleurs de concert avec vos actionnaires de référence fortement représentés à votre conseil d’administration (Blue Capital SARL, Colony Blue Investor SARL et Groupe Arnault SAS).
Compte tenu de la complexité de l’opération et du nombre de parties concernées, il serait illusoire d’essayer de faire croire aux actionnaires minoritaires de Carrefour que les discussions n’étaient pas « très avancées » à la date du 21 juin.
Non communication au marché de l’existence de discussions avancées avec le groupe Diniz :
Une assemblée générale est normalement une opportunité pour le management d’une société pour avoir un échange fructueux avec ses actionnaires.
Dans le cas de Carrefour, cela n’a non seulement pas été le cas mais, plus grave, il semble que des informations essentielles n’ont pas été transmises au marché. Elles pourraient être de nature à engager la responsabilité de la société et de ses administrateurs.
Une telle absence de transparence à l’égard du marché s’apparenterait à une dissimulation d’informations essentielles.
S’il était encore besoin de le prouver, le Tribunal de Commerce de Nanterre, dans sa décision du 24 juin 2011 a déclaré que « l’existence de négociation entre Carrefour et le groupe Diniz … est aujourd’hui bien établie… » et que « les contacts de Carrefour sont restés clandestins pendant de nombreuses semaines… ».
Une opération qui nécessite une assemblée générale de Carrefour :
Le projet, tel qui ressort du communiqué de presse de Carrefour du 28 juin, fait état de l’émission d’actions de préférence à émettre. Hors, il s’avère que vous ne disposez pas dans vos délégations de telles autorisations. Curieusement, vous n’évoquez à aucun moment la nécessité d’organiser une assemblée générale de Carrefour pour vous faire octroyer une telle délégation et cela également dans votre communiqué du 4 juillet 2011.
D’autre part et de manière surprenante, ce dernier communiqué qui indique l’accord de votre conseil d’administration sur ce projet ne mentionne nullement la nécessité de procéder à une augmentation de capital de Carrefour, ce qui aura un impact dilutif pour ses actionnaires minoritaires.
Les risques juridiques qu’une telle opération fait courir à Carrefour ne sont également pas mentionnés.
Un renforcement des pouvoirs de Blue Capital SARL, Colony Blue Investor SARL et Groupe Arnault SAS et un transfert progressif du contrôle de la société.
Une lecture attentive du projet montre que sans avoir à investir plus en avant dans Carrefour, Blue Capital va voir son pouvoir encore renforcé grâce au pacte d’actionnaire signé avec Gama.
Les droits de vote du pacte seront plafonnés à 30% pour éviter d’avoir à lancer une offre publique mais, par un tour de passe passe, Blue Capital conservera ses droit de vote doubles. En effet les droits de vote attachés aux nouvelles actions à émettre seront réduits pour que le cumul Blue Capital et Gama ne dépasse pas le seuil fatidique des 30% !
Il existe d’ailleurs une contradiction flagrante dans votre communiqué du 28 juin concernant une limitation des droits de votes cumulés à 30%. Dans un paragraphe, il s’agit de Gama et de Blue Capital alors qu’au paragraphe suivant, il s’agit de Gama de concert avec Blue Capital SARL, Colony Blue Investors SARL et Groupe Arnault. Ces deux derniers actionnaires détenant de leur coté 2,97% du capital, selon les dernières déclaration de franchissement de seuil, vous comprendrez que des précisions doivent être apportées sur ce point.
Enfin, les actions étant librement cessibles à l’intérieur du pacte, Blue Capital pourra alors céder progressivement ses titres à Gama, transférant ainsi le contrôle de Carrefour à un autre actionnaire, sans que les actionnaires minoritaires de Carrefour disposent d’une offre de sortie. Il est d’ailleurs déjà prévu que Gama se voit confier la présidence du comité stratégique de Carrefour !
A ce titre, les actionnaires souhaiteraient savoir s’il existe, de manière directe ou indirecte, entre Blue Capital et Gama des accords secrets existants ou à venir et qui n’auraient pas été portés à la connaissance des actionnaires.
Responsabilité des administrateurs de Carrefour :
Un certain nombre d’administrateurs de Carrefour sont en plein conflit d’intérêts dans l’opération projetée.
Une bonne gouvernance exigerait de manière élémentaire que ceux-ci ne se soient pas prononcés lors du Conseil qui a statué sur le projet stratégique avec Gama. Si l’on suit également l’esprit des recommandations de l’AMF, une place prépondérante doit être réservée aux administrateurs indépendants en pareille circonstance.
Il aurait été normal que les administrateurs indépendants puissent s’entourer de conseils extérieurs, tant sur le plan financier pour pouvoir en apprécier l’intérêt pour les actionnaires minoritaires de Carrefour, que juridique compte tenu de la complexité du sujet.
Ce dernier point est d’autant plus important si l’on se rapporte à l’avis du Tribunal de Commerce de Nanterre du 24 juin qui indique que « Carrefour était susceptible, en entreprenant des négociations qui pouvaient la rendre complice d’une éventuelle violation d’accords contractuels, dont elle avait parfaitement connaissance, d’engager sa responsabilité délictuelle à l’égard de Casino, conjointement avec l’engagement de la responsabilité contractuelle de Diniz ».
Voilà Monsieur le Président Directeur Général les premiers éléments qui inquiètent les actionnaires individuels de Carrefour et sur lesquels nous souhaiterions avoir vos commentaires.
Compte tenu de l’importance des sujets évoqués, nous adressons une copie de la présente aux administrateurs indépendants de Carrefour, au regard de la responsabilité qui pèse sur eux. Nous en adressons une copie également à l’AMF dans la mesure où nous considérons que le marché n’a pas été informé comme il aurait dû l’être.
Nous vous prions de croire, Monsieur le Président Directeur Général, à l’expression de notre considération distinguée.
Pour Deminor
Fabrice Rémon
Directeur Général
CC : – Monsieur René Abate, Administrateur indépendant de Carrefour
– Monsieur Thierry Breton, Administrateur indépendant de Carrefour
– Monsieur Charles Edelstenne, Administrateur indépendant de Carrefour
– Madame Anne-Claire Taittinger, Administratrice indépendante de Carrefour
– Madame Mathilde Lemoine, Administratrice indépendante de Carrefour
– Monsieur Jean-Pierre Jouyet, Président de l’Autorité des Marchés Financiers