Xavier Kemlin – après une lettre envoyée la semaine passée à Emmanuel Macron et Bruno Le Maire dans le cadre de l’affaire Casino – interpelle cette fois Madame Marie-Anne Barbat-Layani, présidente de l’Autorité des marchés financiers.
Il revient sur les éléments factuels du plan de sauvegarde accéléré de Casino et sur le contenu du rapport d’évaluation de l’expert indépendant Sorgem Évaluation et indique : “J’appelle à voter contre ce plan de sauvegarde [le 11 janvier prochain] qui n’est en fait qu’un plan de captation de la valeur du Groupe Casino au seul profit des repreneurs”. Il ajoute : “Ce plan n’a aucun intérêt pour l’emploi et est une véritable arnaque pour les actionnaires et les salariés ainsi que pour les créanciers.” Il pense que : “En prenant l’ensemble du dossier en compte, une issue bien plus favorable serait possible dans le cadre de ce projet de sauvegarde”.
La lettre à Marie-Anne Barbat-Layani, présidente de l’Autorité des marchés financiers
Cette démarche s’inscrit dans la suite de l’entretien de Théodore Guichard sur BFM. L’action familiale menée par les héritiers de Geoffroy Guichard est loin de s’arrêter.
Selon les informations que nous avons pu nous procurer, un courrier vient d’être envoyé à l’attention de Marie-Anne Barbat-Layani, présidente de l’Autorité des marchés financiers. Afin que chacun puisse se faire sa propre opinion, nous reprenons cette lettre en intégralité.
Copie intégrale de la lettre
Dossier Rallye-Casino
Copies :
Monsieur le Président de la République
Monsieur le ministre de l’Économie et des Finances
Monsieur le Procureur du Parquet national financierMadame la Présidente,
L’autorité que vous dirigez « régule la place financière française, ses acteurs et les produits d’épargne qui y sont commercialisés. [Vous veillez] également à la bonne information des investisseurs » selon les missions indiquées sur votre site internet.
Aussi, je vous prie de prendre toutes les dispositions nécessaires permettant de stopper les manœuvres mises en place par Monsieur Jean-Charles Naouri en lien avec le consortium EP Equity Investment III sàrl contrôlé par Daniel Křetínský – Fimalac présidé par Marc de Ladreit de Lacharrière – le fonds Attestor qu’ils essaient de faire passer avec le silence généreux du Tribunal de Commerce de Paris et des mandataires judiciaires impliqués dans l’affaire, à propos duquel un premier recours pour escroquerie au jugement sur Rallye est toujours en cours.
Vous n’êtes pas sans savoir que, depuis 5 ans, je n’ai de cesse de dénoncer les turpitudes de Monsieur Jean-Charles Naouri au détriment du Groupe Casino et de ses actionnaires. Aujourd’hui, Monsieur Jean-Charles Naouri et ce consortium veulent diluer les petits porteurs pour s’accaparer l’ensemble de ce qui restera du groupe alors qu’ils en sont les fossoyeurs. Monsieur Marc Ladreit de Lacharrière, patron-fondateur de la holding Fimalac qui siégeait – par l’intermédiaire de son directeur général – au conseil d’administration Casino n’a rien fait ou même trouvé à redire, et propose de reprendre l’entreprise de concert avec Monsieur Daniel Křetínský qui, lui-même avec plus de 10% du capital, pouvait à tout moment demander une expertise judiciaire de gestion. Qu’en a-t-il été ? Étonnamment rien !
Seriez-vous en mesure de vérifier que le Groupe Casino, ainsi que Rallye ou les holdings personnelles de Monsieur Jean-Charles Naouri n’étaient pas, de fait, en situation de cessation des paiements antérieurement à plus de 45 jours de la demande d’ouverture de la procédure de conciliation ?
La banqueroute de Rallye entraine le Groupe Casino malgré lui
Environ 10 Mds€ ont été détournés de l’activité économique courante de Casino sur 20 ans au seul profit du remboursement des dettes personnelles de Monsieur Naouri ainsi que ses holdings au détriment du bon fonctionnement de la société Casino. Vous n’aurez aucun mal à en reconstituer le montant.
Il est donc encore temps de bloquer la poursuite d’un processus qui constitue indubitablement une clause léonine au dépend des petits actionnaires, dans cette procédure de sauvegarde accélérée. Le droit des procédures collectives est utilisé ici à dessein pour contraindre les petits actionnaires et faire croire aux syndicats – via la presse dont ils sont personnellement proches ou propriétaires – qu’il s’agit de la seule possibilité de continuité d’activité, et ceci dans une urgence absolue et ferme les possibilités de reprise totale par d’autres opérateurs.
Pourquoi Rallye vote-t-il ce plan ?
Je pousse le sujet par l’absurde : les dettes financières du Groupe Casino semblent être de 7 Mds€. Avec l’encaissement lié à la cession du Groupe Éxito et la vente des super et hyper pour 2 Mds€, cela devrait correspondre à un abandon de créance de 5 Mds€. De manière simpliste, comme le propose le plan, il ne restera plus de dette, d’autant que la dette de Rallye devrait disparaitre par sa mise en liquidation judiciaire. Il resterait alors un nouveau groupe Casino sans dette, composé de Monoprix, Franprix et Cdiscout, ainsi que la proximité !
Si Rallye vote le plan, est-ce un abus de majorité de Rallye ou de la Foncière Euris dans Rallye ?
Abus de majorité de Rallye ? Convention réglementée ? Confit d’intérêt ?
Est-ce que Monsieur Jean-Charles Naouri, lors de l’assemblée générale prévue pour le 11 janvier 2024, ne doit-il pas s’abstenir de voter compte-tenu de ses intérêts personnels ? N’en est-il pas de même pour les acteurs du consortium actionnaires ? Je parle ici en tant que propriétaire d’une action Rallye qui me donne le droit d’agir. Ce plan veut accaparer le capital de Casino, qui garde de la valeur ainsi que ces emplacements, tout en socialisant les dettes.
Par ailleurs, le rapport précise : « Sans mise en œuvre du Plan, la Valeur d’Entreprise de 3,71 Mds€, telle qu’elle ressort implicitement de l’augmentation de capital à laquelle va souscrire le Consortium, est très inférieure au montant de l’endettement net du Groupe (7,88 Mds€ y.c. TSSDI). Dans ces conditions, la valeur par action, et donc la valeur pour 100 actions, est nulle. » (p.15)
Ne peut-on pas dans ce cas argüer ou constater la banqueroute du Groupe Casino, ce qui ouvrirait de fait une possibilité de reprise globale par un intervenant du secteur, sans doute sans suppression d’emploi !
À propos du rapport d’expertise, je parle ici en tant qu’actionnaire de Casino (ayant une action Casino)
Le rapport du 20 décembre remis par Sorgem Évaluation est entièrement fondé sur des éléments transmis par le Groupe Casino et l’expert indique qu’il a effectué une vérification limitée en estimant que les informations transmises par le Groupe étaient de bonne foi… Il suffit de rappeler la sanction de Rallye à 25 millions d’euros d’amende par votre institution pour manipulation de marché, pour comprendre que l’on peut, pour le moins, être dubitatif à ce sujet quant à la qualité des informations transmises !
L’expert prend soin d’indiquer dans ses réserves qu’il n’a « pas audité ou validé les données prévisionnelles utilisées » (p.21) et que la « Valeur d’Entreprise de Casino réalisée à partir des éléments financiers prévisionnels communiqués par le Consortium » (p.17), pas plus qu’il n’a « étudié les plans alternatifs présentés à la Société » (p.21). Pour autant « le présent rapport a pour objet de nous prononcer sur le caractère équitable du Plan de restructuration pour les actionnaires actuels » (p.22), un comble !
Ne faut-il pas, à minima, déclencher une expertise judiciaire de gestion afin de vérifier la véracité des chiffres ou une contre-expertise ?
Il indique également que la méthode utilisée n’est pas la méthode habituelle de travail, il y est noté que les dettes 2018 étaient de 3,4 Mds€ sur la présentation Casino mais sur le rapport d’expertise il est noté 5,1 Mds€ (p.60) ! Il est surprenant également que les chiffres sur les perspectives dans l’étude soient ceux fournis par le repreneur.
L’analyse de l’évolution de la trésorerie des activités poursuivies du groupe au cours des 20 dernières années révèle que l’activité opérationnelle courante du groupe a généré 8,8 Mds€ de flux de trésorerie cumulé ne couvrant que partiellement les intérêts cumulés de 9,8 Mds€ supportés par le Groupe du fait de son endettement. Comment se fait-il que les commissaires aux comptes n’ont pas tiré la sonnette d’alarme ?
Compte-tenu de tous les éléments ci-dessus, ne pensez-vous pas qu’il serait primordial de faire effectuer une contre-expertise, voir une expertise judiciaire de gestion ?
Le rapport d’évaluation est curieusement orienté, car il ne tient pas compte de l’offre Auchan ITM estimant que l’offre est faite dans le cadre de la restructuration. Le rapport retient une valorisation des magasins sur une base de 31 à 33% du chiffre d’affaires pour l’ensemble du groupe alors que l’offre ITM Auchan est d’un pourcentage supérieure sur des magasins partiellement en perte et que l’offre de Leclerc en 2019, pour des magasins en perte également, était lui sur une base de 70% du chiffre d’affaires.
L’offre ne tient pas compte, non plus, des sessions faites par Casino, qui possède en général des emplacements de qualité très au-dessus de la moyenne du secteur face à la concurrence, et au fait que la nouvelle loi « zéro artificialisation nette » revalorise, de fait, considérablement les emplacements Casino.
Le rapport estime la proximité à 200 millions alors que Carrefour en propose 700 millions !!!
Le rapport évalue Monoprix entre 800 millions et 1,2 Mds€ alors que les 50% de Monoprix ont été acheté à Monsieur Phillipe Houzé (qui en voulait beaucoup plus) pour 1,175 Mds€, ce qui valoriserait globalement cette entreprise pour plus de 2,35 Mds€ !!!
Quel est prix de l’augmentation de capital ?
Les actionnaires ne peuvent en aucun cas prendre une décision éclairée car il manque une donnée : le prix de l’augmentation de capital. Nous ne connaissons que le volume.
Sur la justification du plan, on constate que :
- Le maintien de la configuration du Groupe : n’est plus d’actualité ;
- Le maintien du siège : n’est plus d’actualité avec la vente d’une grande partie du périmètre ;
- L’investissement dans les magasins : n’est plus d’actualité puisque les hypers et supers étant sortis il y aura moins de besoin d’investissement.
En conclusion, le plan de Monsieur Daniel Křetínský n’est donc pas ambitieux car il y a peu d’augmentation du chiffre d’affaires et donc d’investissement. Autant dire que la totalité de ses engagements sont caducs.
Perte d’égalité entre actionnaires avec abus de majorité ?
Pourquoi, nous autres actionnaires, serions-nous privés de participer à l’augmentation de capital ?
De quels droits exclure de l’augmentation de capital des actionnaires à l’exception de Fimalac, Attestor et Křetínský ?
Pourquoi obliger les actionnaires à voter en présentiel sachant que beaucoup sont âgés et habitent en province mise à part une basse manœuvre ?
Cela entraine une inégalité de droits entre les actionnaires, compte-tenu du fait qu’en plus les actionnaires historiques ne bénéficient pas de BSA contrairement à la restructuration d’ORPEA[1].
Les commissaires aux comptes ?
Rallye avait dans ses comptes des actions Casino à 82,70 € par action, en 2021 dépréciées à 73 € et en 2022 dépréciées à 43 € alors que les cours de bourse étaient bien inférieurs. Le marché n’a-t-il pas toujours raison ?
Le commissaire a déclaré avoir fait des tests indépendants et certifié sans réserve que les comptes représentaient une image fidèle en avril 2023. Il aurait pu alerter les investisseurs par une certification avec des réserves que ce soit sur les comptes clos ou au titre des événements postérieurs à la clôture du 1er janvier 2023 à la date d’édition de son rapport. Il n’en a rien été et a certifié les comptes sans réserve.
En conclusion, le plan proposé par Monsieur Jean-Charles Naouri et le consortium n’a donc qu’un seul objectif : nationaliser les pertes par l’écrasement de la dette et privatiser les futurs profits (ils se sont engagés à conserver les titres 4 ans).
Des dettes ou des pertes ?… d’exploitation ont-elles été cachées ?
Casino avait une dette de 2,7 Mds€ en 2019, qui a bondi à 7 Mds€ en 2023, sachant que Casino a effectué des cessions (où se trouvait également de la dette), la perte d’exploitation devait être plus forte que la réalité exposée dans les comptes. Cette « super-dette » s’explique-t-elle par des pertes d’exploitation ? Mais alors pourquoi les commissaires aux comptes n’ont pas tiré la sonnette d’alarme ? Ou devait-il y avoir des dettes cachées ? On pourrait alors se poser une question : qu’en est-il de la sincérité des comptes depuis des années ?
Après ce bref exposé :
- est-il normal de ne pas bloquer ce processus ?
- est-il normal de déroger aux obligations d’OPA ?
- est-il normal de constater des abus de majorité et conflits d’intérêt, des ruptures d’égalité entre les actionnaires, obligation du présentiel pour le vote pour les petits actionnaires ?
- est-il normal de constater autant d’informations fallacieuses fournies par la société Rallye (NB : dans le dossier ORPEA [où Sorgem Évaluation était déjà en situation d’expertise indépendante a été critiquée par d’autres cabinets[2]] les actionnaires pouvaient participer à l’augmentation de capital) et un rapport d’expertise plus qu’étrange ?
Il ne vous reste plus que quelques jours, chère Madame, pour agir et sauvegarder l’honneur de la place de Paris, soutenir l’emploi et les investisseurs.
Ce dossier jette l’opprobre sur nos institutions et le patronat en général.
Veuillez agréer, Madame, l’expression de mes sentiments distingués.
Xavier Kemlin
Copie pour information : US. Securities and Exchange Commission
[1] https://www.orpea-group.com/wp-content/uploads/2023/05/Rapport-devaluation-independant-article-261-3-RG-AMF.pdf
[2] https://www.optionfinance.fr/info-financiere-en-continu/d/2023-06-08-orpea-le-rapport-dexpert-de-la-cdc-sous-estime-la-valeur-du-groupe-cabinet-ricol-lasteyrie.html
Une question posée sur les comptes
A noter pour information, un article de Challenges intitulé “Vivendi, Casino, Altice… Ces entreprises qui ont fait mentir les chiffres” publié le 2 janvier 2024.
Comment peut on faire de telles choses à notre époque en toute impunités