Pourquoi la direction générale ne souhaite officiellement pas communiquer sur l’histoire de sa propre entreprise ?
Devinez… cherchez… et finalement c’est facile à trouver…
Là où il avait des gènes, il y avait du plaisir
En 1959, Carrefour est créé par la volonté de trois personnes, issues de deux entreprises différentes. D’un côté la famille Defforey, de l’autre Marcel Fournier.
1960, lancement du premier supermarché de l’enseigne à Annecy, nous en avions parlé.
Ensuite, un autre magasin supermarché est construit en 1961 également à Annecy… une visite chez Bernardo Trujillo en 1962… et c’est puis création à Sainte-Geneviève-des-Bois en 1963 de ce qui va tellement marquer les esprits, et qui sera appelé plus tard hypermarché, que beaucoup pensent aujourd’hui que l’entreprise est créée à cette date.
Sur la façade de Sainte-Geneviève est indiqué “grand magasin libre service”. Ce n’est pas étonnant, la direction copie un modèle américain que l’on désigne là-bas de “Self service discount department store”, en traduction littérale : “grand magasin d’escompte libre service”
C’est un mouvement visant à redonner, pour les Etats-Unis, un nouveau souffle pour les grands magasins, mais en dehors des villes cette fois.
Carrefour est donc l’antithèse du grand magasin traditionnel, en ayant des prix bas, sur un seul étage, éloigné du centre ville.
Ce mouvement débute aux USA en 1956, sera poursuivi en 1961 en Belgique et n’arrive en France qu’avec le projet de Carrefour. Carrefour n’a jamais été le premier SSDDS en Europe, contrairement à ce que l’on entend généralement.
Pour la France justement, les galeries Lafayette, ou bien encore ce que l’on appelle les magasins populaires – de type Monoprix – qui n’avait déjà plus d’orientation prix… que le nom, sont ses principaux opposants.
Que vendent ces “anciens”, ces grands magasins de papa-maman… des marques, beaucoup de marques et des produits de marques de distributeurs, légèrement moins chères mais surtout d’une qualité parfois… avec surtout des marges importantes. La MDD est la vache à lait de l’époque pour ces enseignes. Les MDD sont alors une manne financière des grandes magasins et des magasins populaires à cette époque.
En 1976, Euromarché, Mammouth… sont devenus les concurrents pour Carrefour. L’hypermarché n’est plus un modèle innovant, il a déjà 13 ans d’existence. Tout le monde, dans ce type de format d’hyper, parle de prix bas.
Carrefour n’est donc plus qu’un leader de fait sur son marché, avec 35 magasins, et cherche un moteur pour le faire avancer.
Le directeur marketing de l’époque, Etienne Thil, avec le soutien de la direction générale d’alors, propose de revenir sur les fondamentaux de l’enseigne… la liberté.
Carrefour avait industrialisé en France le libre-service, il fallait à présent développer le libre-produit et parler, non pas seulement de prix bas mais surtout de qualité !
Chose dite, chose faite en quelques mois.
A l’époque, les 35 magasins et un siège composé de 5 personnes, dont ce directeur marketing (la grande majorité des archives de ce site sont reprises de cette source ainsi que dans le livre Carrefour Combat pour la liberté) vont inventer une nouvelle race de produits en réinterprétant la notion de marque de distributeur (MDD) : les produits libres sont nés.
Le principe est simple, faire appel à des fournisseurs locaux, de taille régionale, et ayant les capacités et l’envie de produire à grande échelle pour l’enseigne des produits de qualité la plus élevée possible avec un coût de mise en oeuvre le plus bas possible (Jacques Vabre, producteur régional de l’époque, sera l’une de ces sociétés). Tout doit être dans le produit, pas de décoration inutile… Il faut, pour être cohérent, aussi mutualiser la communication… Une sorte de collectivisme industriel qui s’opère entre le distributeur et des petits fournisseurs…
Qui s’opposera à cette logique de production locale ?
– Les clients qui payent 20 à 30% de moins des produits de qualité équivalente aux grandes marques ? Non évidemment !
– Les salariés qui découvrent cela et suppriment les promotions en magasin des grandes marques pour ne laisser que la publicité des produits libres ? Non évidemment !
Qui pouvait être contre ?
Qui pouvait être contre des produits fabriqués en France, des produits de qualité au-dessus de la moyenne, des produits sans artifices… les marques nationales évidemment. Elles peuvent y perdre leur image…
Les organismes représentant les grandes marques sont les plus grands belligérants de l’affaire et sont toujours bien présents !
Le combat est-il toujours d’actualité ?
Aujourd’hui, le combat continue bien entendu, mais plus là où on pouvait l’espérer.
Qui est devenu propriétaire principal de Carrefour ? Bernard Arnault.
Que fait-il ? Des marques, de très grandes marques même.
Qui a-t-il choisi pour diriger Carrefour, avec Colony Capital ? Lars Olofsson.
Que faisait-il ? Il dirigeait Nestlé europe.
Qui est en lien financier étroit avec Nestlé ? L’Oréal bien entendu, de manière croisée.
Quelle est l’une de ses premières décision de Lars Olofsson, changer d’agence de communication… Y a-t-il eu un appel à la concurrence pour cela ? On le cherche encore.
Que fait l’agence comme annonce… “le retour du positif”… autant dire “positif… le retour” finalement pour cette agence qui avait été évincée auparavent.
De qui Lars Olofsson s’entoure-t-il ? D’une équipe issue des marques ou des concurrents de Carrefour…
Qui connaît le mieux Carrefour aujourd’hui ? Pas ceux qui le dirige.
Lorsque vous avez des réflexes inverses à la nature de l’enseigne, il n’est pas difficile de comprendre que l’avenir ne sera pas rose tous les jours…
Qui est remercié systématiquement au sein de la direction générale… les anciens qui connaissaient le mieux Carrefour.
Avaient-ils démérité ? La fusion Carrefour-Promodès est effectivement une réussite toute relative. Les ego des dirigeants de l’époque, leur choix personnels ont largement pesé dans ce fait. A chacun sa religion entre les “natifs” et les “new Carrefour” comme ils se traitent encore.
Etait-ce une raison pour éradiquer toute l’histoire de l’enseigne ? Assurément pas.
Que développe Lars Olofsson comme stratégie ? Une stratégie issue des marques : la promotion permanente.
Quelle était la stratégie de Carrefour : la permanence des prix bas. En somme l’inverse.
Quels sont les choix fait par la direction actuelle ? C’est bien simple : l’inverse de ce qui faisait le génie de Carrefour.
Ceux qui pensent que le passé n’a que peu d’importance, oublient que les clients sont les plus anciens dans cette entreprise et que le turn-over chez eux n’est jamais aussi rapide qu’au sein des directions générales des enseignes, surtout à la vitesse des remerciements actuels !
Quels sont les fournisseurs qui aujourd’hui font les frais de la restriction des assortiments : les petits. Les gros sont bien sous abri puisqu’ils distribuent les cartes aujourd’hui.
Depuis mars 2010 le directeur général, Lars Olofsson, décide de baisser de 15% le nombre de produits de marques nationales ou régionales qu’il propose dans es hypermarchés. On pouvait espérer que Carrefour souhaite mettre en avant ses propres marques… rien n’est moins sûr.
Même en Chine, la stratégie est dite :
“La chaîne française de commerce de détail Carrefour est accusée d’utiliser en Chine une approche discriminatoire envers les entreprises chinoises de produits de soins [tiens c’est étonnant, NDLR] et d’imposer à certaines, de manière illégale, des droits supplémentaires, une pratique qui a été décrite par certains dans les médias chinois comme un « massacre des marques locales ».
Dans le même temps, des experts en marketing ont laissé entendre que ce sera seulement quand ces marques seront devenues des marques reconnues sur le plan mondial qu’elles pourront être protégées contre un traitement inéquitable par les détaillants en Chine [autant dire jamais !].
C’est un dirigeant d’une entreprise située dans le Guangdong, dans le Sud de la Chine, et qui a souhaité rester anonyme, qui a déclaré au journal local Time Weekly que le géant de la distribution pratiquait la discrimination à l’encontre des produits de soins de fabrication chinoise.”
Finalement… que comprendre ?
Carrefour fait l’inverse de ce qu’il a toujours fait : faire profiter nationalement des produits nationaux, ce qui avait pourtant amené l’enseigne à devenir ce qu’elle est.
Les produits Carrefour Discount, parfois de simples copies de produits Carrefour (c’est à dire le coeur de gamme de l’enseigne), détruisent actuellement l’image de l’enseigne toute entière. Qui peut bien avoir intérêt à cela ?
Sans le socle des produits Carrefour comme référence, avec des produits Carrefour Discount importés… que reste-t-il à Carrefour… uniquement les marques évidemment, les grandes !
Combien de temps faudra-t-il pour réduire à néant cette enseigne ou la transformer en grand magasin de papa-maman vendeur de marques nationales au prix le plus haut, puisque vous le valez bien… sans doute moins de temps qu’il ne faut pour le dire, en tout cas les tentatives qui singent les grands magasins ont débuté…
Ce sont les fournisseurs, les petits, qui vont subir le plus de dommages. Seuls les quarantes principaux fournisseurs, qui réalisent près de la moitié des ventes vont tirer leur épingle du jeu en améliorant la rentabilité de leurs usines.
Bien joué Messieurs les actionnaires principaux. Vous qui vouliez de la valeur… vous voilà finalement avec de jolis boulets aux pieds.
N’oubliez pas que la valeur a toujours été faite en distribution par les salariés et non uniquement par les produits. Ils n’y a pas de machines ici, rien que de la chair et du sang…
Un raisonnement d’industriel de la production est toujours destructeur dans ce secteur.
N’oubliez donc pas les petits souliers de vos enfants… pensez-y en passant devant le sapin de Vénissieux, c’est important.
Sauf qu’à force de jouer… le risque : c’est de casser le jouet ou vous ferez de cette enseigne un désert.
Bon Noël.