Cette semaine, une passe d’arme vient de s’opérer entre le fonds américain Knight Vinke Asset Management et le syndicat Force Ouvrière. Afin que chacun puisse se faire sa propre opinion, nous reprenons en premier le courrier de Eric Knight, présenté dans la presse. Pour être plus précis, c’est dans Le Monde que l’actionnaire minoritaire – qui n’en est pas à son premier courrier – décide évidemment de s’offrir une pleine page de publicité avoisinant les 130 000 euros selon le tarif catalogue du journal, même si les réductions peuvent être conséquentes selon une source proche du fonds américain.
Dans un deuxième temps, nous reprenons la réponse présentée par le syndicat. D’autres éléments sont disponibles directement sur le site du syndicat. Evidemment, la réponse sera reprise sur Le Figaro.
Lettre du fonds Knight Vinke Asset Management
« Madame, Monsieur,
Depuis un an la société Carrefour perd régulièrement des parts de marché par rapport à ses principaux concurrents en France et à l’étranger, elle a fait l’objet de cinq alertes sur résultats – plus que n’importe quelle autre société du CAC 40 n’en ait jamais fait – et l’action Carrefour a perdu près de la moitié de sa valeur. En tant qu’actionnaires engagés, nous ne pouvons pas assister à une telle débâcle sans réagir.
La très mauvaise performance de Carrefour peut être attribuée à de nombreux facteurs parmi lesquels une gestion des magasins trop centralisée, des problèmes d’informatique qui ont entraîné des ruptures de stocks, une mauvaise perception de prix, une inquiétante série de départs parmi les cadres dirigeants, et surtout de graves problèmes de gouvernance.
En même temps Carrefour a lancé le projet Planet, l’un des programmes de transformation les plus ambitieux jamais entrepris dans le secteur de la distribution. Ce projet a comme objectif la conversion en magasins Planet ou la rénovation de 500 hypermarchés européens en moins de 3 ans. Les magasins Planet se veulent « plus modernes et plus spectaculaires » que les anciens hypermarchés, mais l’image qui en résulte est-elle cohérente avec le retour d’une politique de prix bas ? Il s’agit là d’un enjeu de taille non seulement pour Carrefour et ses actionnaires mais aussi pour les 250.000 salariés du Groupe en Europe ainsi que tous les acteurs de la filière agroalimentaire qui en dépendent indirectement.
Avant d’être lancé, le concept Planet n’a été testé que dans six magasins pendant une très brève période. D’ici la fin de l’année 2011, 82 des 500 hypermarchés auront été transformés. Quid des 418 magasins restants ? Le bon sens voudrait que les performances attendues soient au rendez-vous avant de passer à l’étape suivante – surtout lorsqu’il n’y aurait aucun plan alternatif envisagé en cas d’échec.
Cela nous amène aux questions de gouvernance. Depuis juin 2011, Monsieur Lars Olofsson cumule les fonctions de président du Conseil d’administration et directeur général du Groupe. De ce fait, s’agissant du projet Planet, Monsieur Olofsson est à la fois juge et partie : il supervise et apprécie les résultats du projet (bons ou mauvais) en tant que président du Conseil alors qu’il en est le concepteur et chargé de sa mise en oeuvre concrète. Cette situation est loin d’être idéale et nous appelons le Conseil à nommer un président indépendant dès que possible.
Quant au rôle de directeur général, le Groupe dispose en interne de grands professionnels ayant une réelle expertise dans le domaine de la distribution, en France comme à l’étranger. L’éventuel parachutage d’un autre candidat externe par le Conseil ne nous paraît pas justifié.
D’ailleurs, compte tenu de la complexité et de la taille du Groupe, le Conseil pourrait envisager une solution bicéphale – avec un directeur général pour les pays émergents et un directeur général pour la France et les pays voisins. Les deux postes requièrent chacun des compétences très différentes et un véritable engagement à plein temps. Le Groupe y gagnerait en clarté et en efficacité.
Je vous prie d’agréer, Madame, Monsieur, l’expression de ma considération distinguée.
Eric Knight »
Pour FO, « Cette démarche est clairement hostile et fortement nuisible. Le projet de création d’une direction bicéphale, une France-Europe et l’autre Asie-Amérique, annonce clairement une volonté de démantèlement du groupe Carrefour que le Comité d’entreprise Européen de Carrefour dénonce et rejette avec fermeté comme il avait rejeté le projet de scission de DIA. » [source]
Lettre de l’Union des Syndicats Force-Ouvrière Carrefour
« Un démantèlement qui fait rêver Knight Vinke !
L’ensemble des syndicats européens du groupe Carrefour réuni pour le Comité d’entreprise européen à Bucarest ce 20 octobre 2011, a pris connaissance avec stupeur de la lettre ouverte du fonds Knight Vinke, adressée au Conseil d’Administration de Carrefour par voie de presse.
Cette démarche est clairement hostile et fortement nuisible.
Le projet de création d’une direction bicéphale, une France-Europe et l’autre Asie-Amérique, annonce clairement une volonté de démantèlement du groupe Carrefour que le Comité d’entreprise Européen de Carrefour dénonce et rejette avec fermeté comme il avait rejeté le projet de scission de DIA.
Une telle initiative ferait passer à pertes et profits les sacrifices déjà réalisés par les salariés en Europe depuis plusieurs années en termes d’emploi, de salaire et de conditions de travail.
Carrefour a besoin de stabilité et de détermination pour mener à bien sa stratégie.
Carrefour c’est des centaines de milliers d’emplois en Europe.
Nous souhaitons exprimer notre attachement à l’entreprise Carrefour, aux emplois qu’elle représente et affirmer notre soutien à la stratégie que vient de nous présenter la Direction Générale, s’agissant des plans d’investissement pour le remodeling des magasins.
Néanmoins, il est à craindre qu’une nouvelle vague de restructurations touche l’Europe et les pays Méditerranéens. Le Comité Européen Carrefour et l’UNI souhaitent, au travers le dialogue social, anticiper les conséquences sociales induites pour les travailleurs et appellent la direction à lancer un véritable dialogue constructif sur ce thème.
Les syndicats du comité d’entreprise européen et le syndicat mondial UNI Commerce dénoncent les manoeuvres du fonds activiste financier américain Knight Vinke.
Ce sont des spéculations d’ordre financier visant à déstabiliser le groupe Carrefour pour pouvoir plus aisément faciliter son démantèlement.
Ils assumeront leurs responsabilités pour la réussite des mesures mises en oeuvre pour remettre Carrefour sur la voie de la performance, au profit de ses salariés et de ses clients.
Le secrétaire du Comité Européen Carrefour
Michel Enguelz »
Pendant ce temps, d’une part, AlphaValue réduit son objectif de cours en bourse en indiquant :
– Le groupe a perdu la confiance des investisseurs après une succession d’avertissements sur résultats en un an. Ses plans stratégiques successifs ne convainquent plus et le cinquième profit warning (mi-octobre) renforce l’impression inquiétante que le groupe ne fait que constater la dégradation régulière de son activité sans pouvoir la contrôler ;
– Le top management a été reconfiguré plusieurs fois au cours des derniers mois ;
– La plupart des analystes conseille de rester à l’écart de la valeur tant la visibilité est faible sur le redressement du groupe ;
D’autre part, on trouve des publicités bien placées, dans la presse régionale :
Ces financiers qui ne rêvent que démembrement spin off et vente à la découpe !
Y en a marre ! Il est aussi incompétent que Bazire, Bazin et Arnault !
Mettez un vrai pro à la tête qui formera un tandem avec Pierre Bouchut et tout le monde sera content !
Ça fait 10 ans que je le dis à toute les assemblées !