Nous avions déjà eu l’occasion d’évoquer la directive européenne visant à renforcer la protection des lanceurs d’alerte en entreprise. Cette fois, nous donnons la parole à Patrice Grenier, fondateur du cabinet Grenier Avocats, pour évoquer au travers d’un cas réel la situation des entreprises confrontées au signalement d’un lanceur d’alerte.
Le cas du signalement d’un lanceur d’alerte : exemple d’une entreprise
La situation s’est déroulée dans une entreprise de plus de 50 salariés qui dispose d’une procédure de recueil de signalements mise en place en conformité avec l’article 8-III de la loi du 9 décembre 2016 dite loi Sapin 2. Tiers de confiance de cette structure, le cabinet Grenier Avocats se devait de respecter la confidentialité de l’auteur du signalement.
L’auteur de l’alerte a appelé, en numéro masqué, la ligne dédiée aux alertes et gérée à l’extérieur de l’entreprise. A ce premier stade, ce dernier a indiqué qu’il était salarié dans une filiale de l’entreprise et qu’il avait eu connaissance d’un comportement non éthique de son supérieur hiérarchique qui falsifiait des données de test sur des produits afin qu’ils soient compatibles avec des exigences normatives nécessaires à leur vente sur le marché.
L’auteur a exprimé deux volontés : conserver l’anonymat et bénéficier du statut de lanceur d’alerte avant de pouvoir divulguer les noms du produit et de la personne visée par le signalement. Comme le permet la procédure appliquée dans l’entreprise, nous lui avons répondu qu’il pouvait communiquer son identité de manière confidentielle, ce qui pourrait faciliter le traitement du signalement. Il a refusé.
Rapidement, la fonction compliance de l’entreprise a ouvert un cas de signalement. La première problématique fût de déterminer si les investigations pouvaient être menées au sein de l’entreprise tandis que l’anonymat de l’auteur ne permettait pas d’affirmer, au sens de la loi Sapin 2, que l’auteur était un lanceur d‘alerte pouvant bénéficier d’une protection. Rappelons que le lanceur d‘alerte, au-delà des faits dénoncés, doit avoir eu personnellement connaissance des faits dénoncés, agir en toute bonne foi et de manière désintéressée.
Face au risque dénoncé et à sa potentielle gravité, et nonobstant l’absence de tout indice, notre cabinet a conseillé une enquête interne pour identifier, auprès de la direction Qualité, les usines dans lesquelles un problème qualité aurait pu intervenir. Les informations collectées n’ont pas pu mettre en évidence un risque particulier sur une usine.
Une semaine plus tard, l’auteur a rappelé la ligne dédiée indiquant que son signalement n’avait pas été pris au sérieux puisque les falsifications continuaient et qu’il envisageait de révéler les faits à la presse. Le gestionnaire de la ligne lui a exposé la difficulté rencontrée par l’entreprise pour identifier les faits dénoncés en l’absence de tout indice probant et qu’il pouvait dialoguer avec un tiers de confiance qui lui garantirait la confidentialité de son identité.
La personne a accepté d’appeler le tiers de confiance désigné en demandant que lui soit reconnu le statut de lanceur d’alerte. Il s’est avéré que l’auteur n’avait pas une connaissance directe des faits signalés. Il reprenait des propos tenus, dans une sphère privée, par un ancien salarié de l’entreprise qui travaillait au sein du service Qualité. Ce dernier étant un ami, il n’a pas souhaité révéler son identité. Au sens de la loi Sapin 2, l’auteur ne remplissait pas les critères du lanceur d’alerte.
En dépit des risques encourus à collaborer avec cet auteur, nous avons conseillé la poursuite de l’enquête interne afin d’obtenir un maximum d’informations. Pourquoi ? Ce signalement, même indirect et possiblement fait hors de la bonne foi, est une chance pour l’entreprise de traiter en amont un risque potentiellement important s‘il se réalisait.
Grâce aux informations communiquées par l’auteur, l’enquête interne a permis de confirmer l’existence de falsifications, un risque sécurité lié au produit vendu, et a déclenché la décision de l’entreprise de procéder à un rappel de ses produits. Des sanctions ont par ailleurs été prises contre des personnes impliquées dans la falsification et des mesures correctives dans le process qualité de l’usine mises en place.
Dans le cadre des procédures judiciaires qui ont suivi ces décisions, l’identité de l’auteur n’a pas été divulguée et le tiers de confiance a gardé cette identité confidentielle pour éviter tout risque de représailles.
Une solution que notre cabinet a privilégiée pour permettre à l’entreprise d’identifier et de limiter ce risque. Nous avons également considéré que quelles qu’aient été les motivations de l’auteur, et l’impossibilité de vérifier la bonne foi des deux auteurs (ancien collaborateur Qualité et salarié), il importait peu pour l’entreprise de qualifier l’auteur de lanceur d’alerte ou non au sens de la loi Sapin.