Le Ministre de l’Économie a annoncé une probable réduction du plafond des délais de paiement dans son projet de loi qu’il présentera en avril 2018. Les acteurs du Commerce Coopératif et Associé (FCA) estiment louable l’objectif du Gouvernement d’éviter que des PME ne déposent le bilan pour cause de délais de paiement excessivement longs qui grèvent leur trésorerie. Pour autant, diminuer sèchement ces délais ne constitue pas la solution aux difficultés de certaines PME. Il convient d’analyser la situation en profondeur et de s’assurer de ne pas léser bon nombre de PME au motif de vouloir les soutenir.
Les délais de paiement : un contexte global à analyser
La loi de modernisation de l’économie (LME) de 2008 avait prévu un délai de paiement de 45 jours fin de mois maximum. Il semble indispensable de prendre en compte trois réflexions avant d’envisager une évolution :
1. Faire un bilan de la LME en matière de délais de paiement afin de vérifier sa bonne application et la faire appliquer pour ceux qui ne respectent pas la règle,
2. Faire un bilan sur le comportement des banques en matière de dates de valeur et sur la remise en cause des facilités de caisse et des découverts,
3. Faire un bilan sur les délais de paiement appliqués aux acteurs périphériques tels que les collectivités locales, les acteurs de la santé et les assureurs,…
Le Commerce Coopératif Associé représente 30 % du commerce de détail en France avec plus de 150 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2016. Il est constitué essentiellement de PME qui font souvent face à des fournisseurs internationaux et puissants, des banques soumises à une réglementation prudentielle, parfois oppressante et des acteurs périphériques qui ne sont pas tenus d’appliquer les mêmes règles de délais de paiement.
Dans ces conditions et représentant à ce jour plus de 32 000 PME françaises, la FCA souhaiterait pouvoir soutenir toute démarche visant à améliorer la trésorerie de celles-ci. Cependant, réduire drastiquement les délais de paiement, sans contrepartie, aurait des conséquences immédiates graves pour les PME du Commerce Coopératif Associé. Ces délais de paiement mettent en évidence les carences de financement du besoin en fonds de roulement (BFR).
Comme toute PME, les entreprises du Commerce Coopératif et Associé doivent disposer de trésorerie, parfois très importante pour faire face à leur BFR. Le fond de roulement est globalement destiné au financement de son encours d’activité. Suivant les secteurs, les stocks peuvent être considérables et doivent être financés par la trésorerie et les fonds propres, ce qui est d’autant plus lourd lorsque la rotation des stocks est faible. Cela s’accentue lorsque le client final ne paie pas comptant comme c’est le cas dans les secteurs du bâtiment, bricolage, optique,… et plus généralement pour tous les commerces qui ont une activité B to B.
Les spécificités du commerce coopératif et associe à prendre en compte
Pour les indépendants du Commerce Coopératif et Associé, le financement de cette trésorerie nécessaire à l’activité de la PME est très compliqué et effectivement le crédit dit « fournisseur » joue un rôle qu’il ne devrait pas : ligne de crédit à court terme, autorisation de découvert.. . Si l’on veut réduire encore les délais de paiement, il faut alors trouver d’autres moyens alternatifs de financement du BFR.
Ainsi, si l’on applique, à l’ensemble du commerce et donc aux PME du Commerce Coopératif et Associé, une réduction des délais de règlement, on aboutit tout naturellement à une augmentation notable de leur besoin en fonds de roulement qui est loin d’être négatif dans la très grande majorité des secteurs d’activité du Commerce Coopératif et Associé. C’est créer ainsi une surcharge financière pour ces entreprises, dont les conséquences seront variées, plus ou moins graves, mais inexorables.
Pour les entreprises, cette réduction des délais de paiement entraînerait de grandes difficultés de financement. Le manque de trésorerie risque d’aboutir au défaut de paiement. On connaît en effet la frilosité des banques à accorder des découverts ou des crédits moyen terme pour financer le BFR. Ainsi, la réduction des délais de paiement pourrait s’avérer fatale à nombre d’entreprises dont la rentabilité est moins bien assise.
Même pour les PME les plus performantes, alors qu’elles fonctionnent selon un schéma éprouvé que la réduction des délais de paiement va justement remettre en cause, les conséquences de la réforme ne sont pas anodines et lesteront un pan entier de l’économie française.
Des conséquences néfastes à prévoir
En effet, réduire les délais de paiement sans réflexion préalable sur tout le périmètre de la problématique du financement des PME, c’est prendre les risques suivants :
- Affaiblir la capacité d’emprunt des PME du Commerce Coopératif et Associé
Pour ouvrir un nouveau point de vente par exemple, il conviendra de prévoir un financement supplémentaire pour le stock, ce qui impliquera des fonds propres encore plus importants, alors que l’on connaît déjà la faiblesse des PME du Commerce Coopératif et Associé, comme plus généralement de l’ensemble des entreprises françaises - Augmenter l’endettement des PME du Commerce Coopératif et Associé
Encore faudrait-il pour cela que les établissements bancaires acceptent de financer plus aisément le BFR des entreprises, ce qui est loin d’être acquis à ce jour - Freiner leur développement et donc la création d’emplois
Les PME du Commerce Coopératif et Associé, qui sont par nature, très impliquées au niveau local, non opéables et bien entendu, non délocalisables, ont créé plus de 5 600 emplois en 2016 et représentent un vivier de 546 769 collaborateurs en France. - Aboutir à une hausse des prix
La surcharge financière qui pèserait alors sur les PME du Commerce Coopératif et Associé sera très nécessairement répercutée sur les prix de vente, alors même que l’objectif gouvernemental consiste à faire baisser les prix. - Déréférencer les produits à faible rotation et donc leurs fournisseurs
Les entreprises seront dans l’obligation de sélectionner des fournisseurs sur des critères intégrant la vitesse de rotation des stocks et donc de déréférencer progressivement des fournisseurs ne garantissant pas ce critère. Il y a donc à la clé une baisse de l’offre de produits disponibles pour le consommateur, alors même que l’on connaît l’implication du Commerce Coopératif et Associé dans les zones rurales et son souci de pouvoir offrir autant de références que nécessaire, même dans des zones moins « rentables » non couvertes par d’autres chaînes de distribution. - Fermer des magasins implantés en zone rurale
La conséquence d’une réduction des délais de paiement pourrait aboutir à favoriser et renforcer les zones d’activités commerciales en croissance au détriment d’espaces moins attractifs. - Rendre plus difficiles les transmissions d’entreprises
La transmission des PME du Commerce Coopératif et Associé est aujourd’hui déjà un enjeu majeur et non sans difficultés, liées notamment au financement, car les demandes de mise de fonds sont déjà très significatives. L’augmentation induite du BFR risquerait de rendre tout simplement inaccessible la reprise d’affaires par des indépendants et donc de précipiter la concentration des réseaux aux mains des acteurs intégrés.
Une insuffisance chronique de capitaux propres
Il convient enfin de constater que de manière générale et même historique, le crédit fournisseur en France répond à une insuffisance chronique de capitaux propres de beaucoup d’entreprises et à une certaine « frilosité » des organismes bancaires à financer les éléments constitutifs du BFR.
Il ne faut donc pas analyser le BFR comme le fruit d’un rapport de force entre fournisseurs et distributeurs, mais bien plus comme une réponse pragmatique que les différents acteurs du secteur ont su apporter pour assurer en commun le financement et le développement de leurs activités.
Par conséquent, et cette considération nous paraît absolument primordiale, une réforme des délais de paiement ne pourrait éventuellement avoir de sens que couplée à la réflexion sur l’accès des PME aux financements et au renforcement de leurs fonds propres, mais aussi au comportement des acteurs périphériques au commerce comme les banques, les assureurs, les complémentaires santé et les collectivités locales. Certains acteurs ont une influence importante sur la trésorerie des PME.
Focus sur les acteurs périphériques en deux exemples
La pratique par les banques des dates de valeur
Les établissements bancaires prévoient systématiquement des décalages dans les dates à partir desquelles les opérations effectuées sur un compte bancaire sont prises en considération que ce soit au débit ou au crédit d’un compte, et ce pour tout moyen de paiement (chèque, lettre de change,…). Les banques justifient des jours de valeur par les délais de traitement des opérations qui les empêchent de disposer réellement des fonds dès le moment où elles les comptabilisent. Mais, il convient de vérifier si ces dates de valeur ne sont pas encore, comme par le passé, des commissions déguisées, car les délais de traitement des opérations interbancaires peuvent être très inférieures aux dates de valeur les plus couramment pratiquées du fait de la digitalisation des flux financiers.
Ce seraient autant de jours qui viendraient rallonger le délai au terme duquel le créancier pourrait en effet bénéficier des sommes qui lui reviennent. Or, la réforme envisagée des délais de paiement ne tient aucunement compte de cette pratique peut-être encore actuelle qu’il faudrait alors intégrer dans la réflexion générale. Comment un retard de paiement serait-il défini exactement, en tenant compte de l’intervention des banques en termes de rallongement de délai ?
De plus, il semblerait qu’une réflexion doive être menée plus généralement autour des supports de paiement. Par exemple, il arrive encore qu’une lettre de change ne soit pas présentée en temps et heure par le créancier.
La pratique des acteurs du financement de la santé
Les complémentaires ne sont pas tenues à la LME en matière de délais de paiement, ce qui laisse de nombreux acteurs en difficulté de trésorerie. Les collectivités locales tiennent aussi un rôle important dans ces difficultés en payant parfois avec des délais trop longs. Que penser aussi des assureurs qui en cas de sinistre mettent beaucoup de temps à verser les indemnités contractuelles ? Bref il faut aborder la problématique dans son intégralité au risque de mettre en difficultés de nombreux acteurs des PME en France. Le fait que certains, en France, aient poussé la logique de rapport de force entre différents acteurs jusqu’à son paroxysme ne devrait pas constituer l’argument de la réforme des délais de paiement.
En conclusion, se pose alors la question un peu provocante : le Gouvernement a-t-il l’intention d’obliger ces acteurs comme les banques ou les assureurs à financer ce BFR au même titre qu’il souhaite obliger les entreprises à réduire leurs délais de paiement ?